Saint Suaire la Science aveuglée par la passion
par Isabelle Bourdial
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Tableau de Baldoino (1660) montrant le linceul avec des images frontales et dorsales bien visibles.
Confrérie des Pénitents Rouges de Nice |
On sort de l'investigation scientifique... Jacques Evin est encore plus sévère. Pour ce scientifique qui dirigeait le Centre de datation par le radiocarbone de l'université de Lyon à cette époque et qui participa à l'élaboration du protocole mis en place pour la radiodatation du suaire, la diminution du taux de vanilline n'est pas régulière dans le temps. Elle dépend des conditions de température et d'hygrométrie. « Personne n'a réalisé d'abaque (c'est-à-dire de tables décrivant les variations de ce taux en fonction de ces deux paramètres) ». Cette méthode n'est donc pas recevable.
Par ailleurs, il semble étonnant que Rogers ait disposé d'échantillons de 1988. Pourquoi n'en indique-t-il pas la provenance ? Le cardinal de Turin en possède la moitié et ne souhaite pas s'en dessaisir à des fins d'analyse. Quant à l'autre moitié, elle fut répartie entre les trois laboratoires. A supposer que ces derniers n'aient pas daté - et donc détruit - la totalité du matériel remis, ils n'avaient pas le droit de céder le reste à quiconque.
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Vue microscopique d'oxyde de fer et de collagène prélevés sur le suaire. Le mélange était utilisé comme pigment par les peintres du Moyen Age. |
Christine Oberlin, du Centre de datation, est tout aussi sceptique. « Le niveau scientifique de cette publication est décevant, affirme-t-elle, j'y vois surtout une nouvelle tentative de démontrer que les échantillons et donc la datation de 1988 ne sont pas recevables ». « Or, ils le sont », martèle Jacques Evin. Et de rappeler la fiabilité de ce type de datation qui a largement fait ses preuves en archéologie et que l'on peut appliquer sans mal sur le lin. Le chercheur explique qu'on ne connaît que deux moyens de modifier les rapports isotopiques du carbone et donc de fausser une radiodatation : une pollution carbonée, via des moisissures par exemple, et l'exposition à une réaction nucléaire. Dans le premier cas, plusieurs opérations de purification à la soude et à l'acide ont été effectuées sur le lin. A supposer qu'elles n'aient pas éliminé toute trace organique polluant le linge, l'enrichissement en carbone par pollution nécessaire pour rajeunir un tissu de près de 1300 ans reviendrait à apporter une masse carbonée égale à celle du carbone du lin ! On voit mal comment une telle contamination serait passée inaperçue...
Pour Jacques Evin, invoquer par ailleurs l'enrichissement isotopique par une exposition à un rayonnement radioactif ne relève pas de l'observation de phénomènes se passant normalement dans la nature et sort du domaine de l'investigation scientifique... C'est d'ailleurs ce que fait le père Jean-Baptiste Rinaudo, de la faculté de médecine de Montpellier, lorsqu'il affirme que le linceul aurait subi un bombardement de neutrons et de protons provenant de la désintégration des noyaux de deutérium du corps du Nazaréen causée par sa résurrection... Alors qu'elles relèvent de la foi, ses affirmations n'en sont pas moins régulièrement reprises dans les médias et dans les livres publiés sur le suaire.
L'argument du « négatif » ne tient pas
Par ailleurs, l'incendie qui faillit détruire le suaire en 1532 ne peut avoir faussé la datation isotopique des trois laboratoires, car le chauffage ne modifie pas la répartition des isotopes de carbone de la toile. Sinon, la radiodatation aurait depuis longtemps été abandonnée : elle implique la combustion en laboratoire des échantillons à dater !
« Tout de même, les résultats aberrants de la radiodatation ne s'expliquent que si les échantillons ont été substitués à d'autres ou prélevés sur les pièces raccommodées », assène Pierre Mérat, le président du Cielt. Mais un tel trucage, pour ne pas dire complot, implique la complicité de toutes les personnes présentes au moment de la découpe du linge : à savoir un chercheur du Sturp, un cardinal et quatre prêtres, trois conseillers scientifiques et les représentants des trois laboratoires sélectionnés ! Quant à l'hypothèse de la pièce raccommodée, il est vrai que le linceul fut restauré à plusieurs reprises: en 1534, en 1694 ou en 1868. Mais le choix réfléchi de l'emplacement des échantillons et la présence de deux spécialistes des textiles anciens au moment des faits balaient cette hypothèse. Bref, il n'existe finalement aucune nouvelle pièce à verser au dossier de la datation de 1988 et, de ce fait, aucune raison recevable de la remettre en cause.
Qu'à cela ne tienne, les partisans de l'authenticité du suaire ont d'autres arguments en réserve, tout aussi logiques en apparence. Par exemple lorsqu'ils avancent que l'image imprimée sur le linge funéraire se comporte comme un négatif photographique : la silhouette sépia à peine estompée voit, sur un négatif photographique, ses contrastes augmenter. Elle devient saisissante de réalisme et s'enrichit de détails. Comment envisager qu'un faussaire ait pu réaliser une œuvre indéchiffrable et anticiper de plusieurs siècles l'invention de la photographie indispensable pour la révéler? Impossible, affirme André Marion, qui compte parmi les défenseurs de la relique. Pour ce spécialiste du traitement numérique des images, la cause est entendue : l'empreinte ne peut avoir été peinte au Moyen Age pour exploiter le futur concept du négatif photographique...
Mais voilà, le suaire est certes un négatif... mais pas photographique. Car le positif livré par l'inversion lumineuse ne correspond pas exactement à la « réalité » attendue : il fait ressortir en clair les plaies, les coulées de sang ainsi que la barbe, les cheveux et les sourcils du personnage, affublant Jésus d'une chevelure blanche. Tandis qu'il entoure ses reliefs d'espaces sombres. Enfin, l'image inversée de l'empreinte devrait présenter une plus grande variété d'intensités, notamment dans les gris et les blancs.
Le fait d'avoir représenté l'homme du suaire en négatif n'est pas une prouesse extraordinaire : « Le principe du négatif était connu des hommes préhistoriques qui dessinaient leurs mains au pochoir sur les parois des grottes, rappelle l'historien Paul-Eric Blanrue. Et puis, au Moyen Age, l'empreinte de la silhouette était plus perceptible et n'avait nul besoin d'une inversion de tons pour être visible. »
En témoignent divers tableaux représentant le suaire, ainsi qu'un médaillon en plomb du XIVe siècle. Cette enseigne de pèlerinage qui porte la première image connue du linceul reproduit d'ailleurs distinctement les faces ventrales et dorsales ainsi que les chevrons du lin. L'argument d'un « miracle » technique ne tient donc pas...
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Holy Shroud Science blinded with passion
by Isabelle Bourdial
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Painting of Baldoino (1660) showing the shroud with the frontal and dorsal images well visible.
Confraternity of the Red Penitents in Nice |
One leaves the scientific investigation... Jacques Evin is even more severe. For this scientist who directed the Center of radiocarbon dating of the university of Lyon at that time and who took part in the development of the protocol set up for the radiodatation of the shroud, the reduction in the vanillin rate is not steady versus time. It depends on the conditions of temperature and hygrometry. « Nobody carried out abacus (i.e. tables describing the variations of this rate according to these two parameters) ». This method is thus not admissible.
In addition, it seems astonishing that Rogers had samples of 1988 radiodatation. Why doesn't he indicate the source of it? The cardinal of Turin has half of it and does not wish to part with it at ends of analysis. As for other half, it was distributed between the three laboratories. To suppose that the latter did not date - and thus destroyed - totality from the given material, they did not have the right to give the remainder up to whoever.
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Microscopic view of iron oxide and collagen collected on the shroud. This mixture was used as pigment by the painters during the Middle Ages. |
Christine Oberlin, of the Center of radiocarbon dating, is also skeptic. « The scientific level of this publication is disappointing, she says, I see there especially a new attempt to show that the samples and thus the dating of 1988 are not admissible. ». « But, they are it », hammers Jacques Evin. And to point out the reliability of this type of dating which largely proved reliable in archaeology and which one can apply without difficulty to the linen cloth. The researcher explains that one knows only two means of modifying the isotopic ratios of carbon and thus to distort a radiodatation: a carbon pollution via moulds for example, and the exposure to a nuclear reaction. In the first case, several operations of purification to soda and acid were carried out on the linen samples. To suppose that they did not eliminate any organic trace polluting the linen, enrichment with carbon by pollution necessary to renovate a linen fabric of almost 1300 years would correspond to add an amount of carbon mass equal to that of the carbon of linen sample! One sees badly how such a contamination would have passed unperceived...
For Jacques Evin, to in addition call upon the enrichment by an exposure to a radioactive radiation does not correspond to the observation of phenomena happening normally in nature and leaves the field of the scientific investigation... It is besides what the father Jean-Baptist Rinaudo does, of the Medicine Faculty of Montpellier (France), when he affirms that the shroud would have undergone a bombardment of neutrons and protons coming from the disintegration of the deuterium nuclei of the Nazarene body caused by his resurrection... Whereas they concern the faith, his assertions are not less regularly quoted in the media and the books published on the shroud.
The argument of « negative » does not hold
In addition, the fire which failed to destroy the shroud in 1532 cannot have distorted the isotopic dating of the three laboratories, because the heating does not modify the distribution of the carbon isotopes of the linen fabric. If not, the radiodatation would for a long time have been abandoned: it implies combustion in laboratory of the samples to be dated!
« All the same, the aberrant results of the radiodatation are explainable only if the samples were substituted for others or were taken on the mended parts », proclaims Pierre Mérat, the president of Cielt. But such a faking, not to say a plot, implies the complicity of all the people present at the moment of the cutting of the linen cloth: namely a researcher of Sturp, a cardinal and four priests, three scientific advisers and the representatives of the three selected laboratories! As for the assumption of the mended part, it is true that the shroud was restored on several occasions: in 1534, in 1694 or 1868. But the considered choice of the place of the samples and the presence of two specialists in the old textiles at the time of the facts sweep this assumption. In short, there is finally no new document to be put in the file of the 1988 dating, and so, no admissible reason to call it into question.
That's no problem, the partisans of the authenticity of the shroud have other arguments in reserve, quite as logical seemingly. For example when they advance that the image printed on the funerary linen behaves like a negative photographic: the sepia silhouette hardly blurred has its contrasts increased on a photographic negative. It becomes startling of realism and grows rich by details. How to consider that a forger could carry out an indecipherable work and anticipate several centuries the invention of essential photography to reveal it? Impossible, André Marion affirms, who counts among the defenders of the relic. For this specialist in the digital processing of the images, the cause is heard : the imprint cannot be painted at the Middle Ages to exploit the future concept of photographic negative...
But here is, the shroud is certainly negative... but not photographic. Because the positive one delivered by the luminous inversion does not correspond exactly to awaited « reality » attendue : it emphasizes in light the wounds, flows of blood as well as the beard, the hair and the eyebrows of the man, rigging out Jesus of a white hair. While it surrounds his contours of dark spaces. Lastly, the reversed image of the imprint should present a larger variety of intensities, in particular in the gray and the white.
The fact of having represented the man of the shroud into negative is not an extraordinary prowess : « the principle of negative was known by prehistoric men who drew their hands by transfer on the walls of the caves, the historian Paul-Eric Blanrue reminds. And then, at the Middle Ages, the imprint of the silhouette was more perceptible and did not have need for a tone inversion to be visible. »
Testify various paintings representing the shroud, as well as a lead medallion of XIV century. Besides this sign of pilgrimage which carries the first known image of the shroud reproduces distinctly the ventral and dorsal faces as well as the herringbone pattern of the linen cloth. The argument of a technical « miracle » thus does not hold...
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