Economie politique
de l'Argentine




Le secret de la récupération argentine
à la sortie des grandes crises
se trouve dans le mécanisme
de la relance de la consommation.

Alors que la quasi totalité de l'économie industrielle est arrêtée, faute de clients, de matière première et de financement, l'économie primaire, essentiellement l'agriculture, continue à produire le ravitaillement de la population. Le « default » des banques a asséché la masse monétaire disponible, (pendant un temps chaque province émettait sa propre monnaie pour payer ses fonctionnaires et ses fournisseurs), et le troc est devenu un moyen privilégié des échanges élémentaires. Les revenus s'évanouissent faute de ressources des émetteurs, qu'il s'agisse de loyers, de retraites, de rentes et d'assurances. Les salariés sans fortune personnelle sont á la soupe populaire. Au pire de la crise, 30% de la population est en situation de grande précarité. L'entraide familiale est la seule possibilité de survie du plus grand nombre.

Comment donc, ce pays, dans une situation globale équivalente a celle d'un pays sous développé, peut-il retrouver le chemin de l'économie de marché sans aucune aide financière extérieure, ni publique (FMI, Club de Paris, etc), ni privée, les entreprises privées ayant rapatrié leurs capitaux.


Premier miracle
de l'Economie argentine :

Les placements des particuliers dans les refuges fiscaux, pour ce prémunir contre ces crises cycliques, reviennent chaque mois pour assurer la consommation des particuliers prévenants. Cette situation, que les observateurs européens, dans leur grande candeur moraliste, ont toujours critiqué comme étant un manque de foi des argentins dans leur propre pays, et donc la cause première de leur incapacité à développer leur pays, représente la seule source de financement disponible pour réamorcer la pompe de l'économie par la consommation de base.


Deuxième miracle
de l'Economie argentine :

Les industriels locaux rapatrient également leurs placements de sécurité pour acquérir les entreprises abandonnées, dans la précipitation, par les investisseurs étrangers. Ainsi les entreprises de l'EDF, France Telecom et Suez ne sont pas restés longtemps orphelines. A tous les niveaux d'investissements des entreprises changent de main. La situation est telle que les entrepreneurs, qui ont perdu la confiance dans l'avenir du pays, préfèrent suspendre leur activité afin de ne pas supporter les frais de conservation d'une entreprise sans clients et la vendent au plus offrant. Pour les argentins qui y croient c'est la période de l'enrichissement facile. Manuel Antelmo, un obscur fabricant d'amortisseurs, devient propriétaire de la filiale argentine de Renault contre un troc d'actions sans valeurs.


Troisième miracle
de l'Economie argentine :

Les salariés qui retrouvent du travail (il est clair qu'il n'existe aucune aide publique dans une telle situation de crise) dépensent tout ce qu'ils gagnent dans l'euphorie de leur retour á la normalité. Et, lentement, la mécanique de la consommation recommence á fonctionner, d'autant plus facilement qu'il s'agit d'un peuple compétent, industrieux et travailleur. Ensuite c'est une question de temps.

A la suite du Plan de Convertibilité pris par le Ministre Cavallo au pire de la crise de l'hyperinflation, (800%), le chiffre d'affaires des grands supermarchés passa de 8 milliards de US$ à 10 entre 1990 et 1996.

En 2001 après la débâcle du précédent, une dévaluation exceptionnelle de 300% permet de reprendre les exportations de produits manufacturés et d'accroitre d'autant le retour à l'économie basée sur la production industrielle.


Quand Dieu s'en mêle
(l'Argentine est le pays des miracles) :

Les prix des matières agricoles flambent sur le marché mondial et enrichissent d'autant les activités de la campagne ainsi que les caisses de l'Etat qui prélève entre 15% et 30% sur la valeur des exportations. En 2007 les seules exportations de produits alimentaires ont atteint 30 milliards d'US.

Aujourd'hui tous les paramètres sont revenus au niveau des meilleurs indices d'avant la crise, et la ponction des 70% de la richesse des citoyens est déjà oubliée. Il suffit de visiter les grands magasins pour les fêtes de Noel pour confirmer que ce ne sont pas les grandes familles qui sont les seules à avoir retrouvé le chemin de la confiance.

Il est alors temps de tordre le coup à une autre vision erronée de l'Argentine. Ces grands propriétaires terriens qui maintiendraient sous leur pouvoir une Argentine composée de prolétaires sans avenir.

Même s'il est vrai que les grands propriétaires terriens sont toujours riches, (pourquoi ne le seraient-ils pas ?), ils n'assujettissent plus leur personnel, puisqu'ils n'en n'ont plus. En effet tous les services de l'agriculture sont assurés par des entreprises privées, sous traitantes des propriétaires terriens et des exploitants ruraux. Les propriétaires, grands et petits, comme l'Etat, encaissent une rente sur les récoltes. La terre qui s'achète et se loue comme n'importe quel bien immobilier est un placement comme un autre !

Quand aux grandes fortunes, il y a bien longtemps qu'elles se trouvent chez les rois de la finance, (mesas de dinero), du commerce d'exportation, dans les services informatiques qui travaillent á l'échelle mondiale grâce au différentiel des salaires, et les nouveaux industriels qui ont pris la place des étrangers timorés.

Il y a aussi de nouvelles activités comme la pèche, les mines, le tourisme. Pour s'en convaincre il suffit de visiter les clubs nautiques, les stations de ski, les golfs et surtout les palais ( comment appeler une maison de 500 a 800 m2), qui ont pris la place des maisons vendues par la génération précédente dont les enfants sont partis construire d'autres palais, moins chers parce que plus loin, á 30km de la capitale.

Autre observation, qui confirme cette analyse ; tous les grands noms du luxe, qui avaient quitté le pays, sont déjà revenus sur les belles avenues du centre et des grands centres commerciaux de la banlieue.


Quel est donc le véritable visage
de l'Economie Politique de l'Argentine ?

Depuis plus d'un siècle, (pour éviter de parler de situation conjoncturelle) une coupole de grandes fortunes maitrisent les rouages de l'économie du pays et font leur affaire des situations politiques changeantes. Aucune n'a jamais disparu pour des raisons d'ordre politique; par contre beaucoup apparaissent à l'occasion de chaque nouvelle crise. Ce qui élimine toute tendance á la sclérose des institutions.

En deuxième rang apparaissent les assistants et les fournisseurs des premiers qui forment la classe moyenne, haute. Il y a dans cette catégorie des enfants de toutes les couches de la société. C'est le véritable creuset démocratique du pays.

Enfin le gros de la population vit du service aux deux premiers rangs de l'échelle sociale et, quand ils sont doués, ils peuvent les rejoindre, voire les dépasser. Au hasard on peut citer Ferrero, le marchand de glace qui a fondé une entreprise de renommée mondiale, Alfredo Cotto, le petit boucher qui fonda une chaine de supermarchés qui en dix ans dépassa les ventes de Carrefour, et Carlos Avila, un obscur publicitaire de la Municipalité de Buenos Aires, qui en dix ans monta la première régie publicitaire du pays qui négocia, avec Robert Murdoch le partage des droits publicitaires des nouvelles télévisions privées.


Et les fonctionnaires ?

Ils forment une catégorie à part dans la mesure ou tout le monde est á ses heures un peu fonctionnaire et ou personne n'en ferait sa carrière.


La politique alors,
dans tout cela,
quel est son rôle ?

Depuis un siècle les politiciens jouent un rôle tampon avec les forces populaires qui, suivant les circonstances, augmentent leur pression ou accompagnent le mouvement quand il y a vraiment beaucoup d'argent à amasser. Personne ne perdra son temps à défiler alors que les affaires sont brillantes. Là est tout le secret de ce pays; on gagne sa place dans la hiérarchie sociale pendant un temps extrêmement court. Quelques années d'une vie! Il ne faut pas les laissez filer.

Les grandes entreprises étrangères qui n'ont pas compris ce mécanisme passent leur temps à déménager entre l'abandon et le retour des investissements qui profitent chaque fois aux intermédiaires qui leurs sont restées fidèles: dont deux cas caricaturaux, Peugeot et surtout Renault qui, en 1992, remit sa filiale pour un prix dérisoire à un personnage qui jouait au golf avec Menem, et qui la racheta en 1997 pour le prix de sa cotation en bourse.


En conclusion, l'Argentine se présente comme un territoire doté d'immenses richesses sur lesquelles vivent des trappeurs dont l'habileté consiste à savoir transformer ces richesses naturelles en argent.

Cet argent est ensuite réparti dans une population de professionnels qui s'enrichissent au service des premiers.

Une troisième catégorie de citoyens est composée de salariés qui, n'ayant pas la capacité pour travailler à leur compte, font valoir leur travail afin d'obtenir le meilleur salaire de la part de ceux qui composent les deux premiers groupes.

La fonction politique, dans cette structure opérative, n'est en fait qu'une face de la lutte pour la conquête des richesses naturelles et fiduciaires du pays qui sont, suivant un principe fondateur, réparties entre les opérateurs en fonction du poids qu'ils exercent sur le fonctionnement de la société. Les acteurs de la vie politique interviennent pour infléchir ces règles fondamentales afin de s'interposer au rang de nouveaux opérateurs.

Dans cet ensemble, il n'y a pas de place pour des catégories sociales qui laisseraient leur sort entre les mains des acteurs de la revendication sociale. Revendication contre qui et au nom de quel ordre ?





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Auteur: Jean Eudes Hasdenteufel  - Reçu le 20 Janvier 2008 - Sous toutes réserves