Audierne
« Le Lys »
premier corsaire d'Audierne

par Jacques Blanken

Audierne était un abri sûr pour qui connaissait les passes

Le 13 octobre 1756, Pierre Cornic obtient sa lettre de Marque. Apparemment, il est le premier. Certes, douze ans auparavant, le 16 mai 1744 une commission de corsaire avait bien été délivrée à Valentin Trévascoët, armateur et capitaine de la Marthe de l'Île Saint (comme on l'écrivait à l'époque) mais nul ne savait si ce bateau avait jamais fait quelque prise.

Aucun corsaire, semble t-il n'avait jusqu'alors été basé dans le port d'Audierne et la curiosité populaire était grande autour du navire. Moins d'une semaine plus tard, le 20 octobre, le navire était fin prêt et malgré la désertion de 4 membres de son équipage nouvellement créé et qui furent vite remplacés et déclaration faite à l'Amirauté pour les poursuites d'usage, signalant que « 4 hommes engagés comme capitaine d'armes, soldat et matelots à bord du Lys ne se sont point présentés au départ du corsaire quoique ayant reçu leurs avances », le Lys appareille et monte rapidement en Manche croiser sur la route maritime la plus fréquentée au sud des îles Scilly, la plus dangereuse aussi...

le Lys appareille et monte rapidement en Manche croiser sur la route maritime la plus fréquentée

Le Lys appareille et monte rapidement
en Manche croiser sur la route maritime
la plus fréquentée

    

Le 2 novembre, il chasse avec succès et amarine « L'Anna-Bella » un navire de Liverpool jaugeant 200 tonneaux, venant de la Caroline, chargé notamment de bois, de goudron, de peaux de cerfs et de biches. Une belle prise à bord de laquelle, il place un officier, « le capitaine de prise », et quelques hommes pour la conduire rapidement à Morlaix, le port Français le plus proche où elle sera à l'abri.

Poursuivant sa chasse, deux jours plus tard, il repère et amarine sans difficultés « le Belveder », 80 tonneaux de Drogheda, allant sur lest à New York chargé de Bœuf et de biscuit pour les vivres, auquel il réserve le même sort qu'à « L'Anna-Bella », à savoir : route Morlaix !

Bonne intuition car le même jour, à la nuit tombée, « il eut connaissance » d'une frégate anglaise de 8 canons gréée en brigantin... qu'il combattit avec héroïsme.


Rapport écrit d'un combat « du Lys »

Voici le rapport écrit de ce combat fait à l'Amirauté de Cornouaille : « A dix heures du soir, il s'est trouvé à son bord, et lui a fait tirer sa volée de bas bord avec sa mousqueterie à demie portée de pistolet, dans l'instant, on a entendu à bord de l'ennemi, des cris et hurlements affreux, cependant il a mis en travers, et a soutenu le combat environ deux heures, tantôt en travers, tantôt en fuyant; environ minuit, son feu qui alloit toujours en diminuant cessa tout à coup et pour lors il prit chasse sur les Sorlingues, dont il n'étoit éloigné que d'environ une lieue, préférant de faire côte à se laisser prendre, car il était déjà réduit à n'en pouvoir plus tant il était dégrayé et mal traité, en son bois et en ses manœuvres; il ne l'auroit jamais même pu parer si on avait pu l'aborder; ledit sieur Cornic, le poursuivit encore une demie heure, continuant de lui tirer de ses canons de chasse, mais la crainte d'aller échouer avec lui sur la côte, l'obligea à revirer de bord.
Le Capitaine Pierre Cornic, sieur du Pré, rapporteur. 18 novembre
 ».

Par jugement du 14 juin 1757, les deux navires parvenus à Morlaix avec cargaison et équipages furent déclarés « de bonne prise », les équipages furent emprisonnés, la vente des navires et leur cargaison eut lieu pour un total de 22 450 livres pour l'Anna-Bella et 5 518 livres pour le Belveder. Le Produit net à partager fut de 25 422 livres et rapporta en tout 23 343 livres à l'armateur dont 8 228 livres pour l'équipage (moins 207 livres pour les invalides de la marine) ; part d'officier 79 livres... Au final, les frais d'armement dépassant la valeur de la liquidation, il y eut une légère perte à reporter sur le compte de l'armateur qu'on imagine quelque peu déçu !


Des Lettres de Marque délivrées à Audierne

A Audierne, il fut encore délivré des Lettres de Marque, notamment l'année suivante au navire corsaire « l'Iroquois » sur lequel on sait très peu de choses si ce n'est qu'il était commandé par Jean Castel d'Audierne et qu'à son bord avait servi en 1757 et 1758 Jean-Jacques Piriou de Lezongar qui fut reçu capitaine au long cours en 1761. Il était le fils d'Elisabeth Peyhaam et de Jean Daniel Piriou, armateur à Audierne, précisément de « l'Iroquois ». On ignore si ce corsaire remporta quelque succès.

Sans avoir obtenu commission de corsaire, permettant d'avoir à bord armes et soldats, et autorisant l'abordage, le culot, la ruse et le courage étaient aussi source d'exploits, comme celui réalisé le 30 avril 1761 par les pêcheurs voisins de l'île de Sein qui sans moyens guerriers, n'hésitèrent pas à attaquer « Le Saint Pierre », navire de 25 tonneaux de Guernesey, capitaine Daniel Delarue, chargé de marchandises destinées à ravitailler l'escadre Anglaise mouillée devant Belle-île... Un arrêt du conseil du 11 juin 1761 déclara le navire anglais « de bonne prise » et le confisqua au profit... de l'Amiral, privant les courageux pêcheurs patriotes de toute récompense, car la prise avait été faite par des navires non pourvus de commission !


Parfois le dénouement était heureux

De tels exploits n'étaient pas des exceptions et parfois le dénouement était plus heureux. Ainsi, « La Jeune Marguerite » de Morlaix, 100 tonneaux, capitaine Allain fut prise le 23 avril 1781 par le corsaire Anglais l'Actif, capitaine G. Scott... François Tymeur de l'île de Sein qui vit passer ce navire Français se dirigeant vers l'Angleterre présuma aussitôt qu'il avait été pris par les Anglais et forma sans plus attendre le projet de le reprendre... Il embarqua dans sa chaloupe avec 13 hommes, 7 fusils et tout ce qu'il put trouver dans l'île de poudre et de plomb. Six heures plus tard, à 12 lieues de l'île, ils joignirent le navire et hissèrent au bout d'une perche, une serviette pour servir de pavillon et l'assurèrent d'un coup de fusil en criant au navire de montrer aussi son pavillon (...) qui en guise de réponse montra son pavillon rouge et pointa un canon sur la chaloupe.

Pour éviter le canon, Tymeur se plaça dans les eaux du navire d'où il fit un feu encore plus vif. Après trois quarts d'heure, les anglais ayant essayé, sans pouvoir y réussir, de placer un canon dans le couronnement du navire amenèrent leur pavillon... Interrogé, l'un des matelots restés à bord de « La Jeune Marguerite » précisa que pendant le combat, le capitaine anglais leur commanda de chercher un baril de poudre, qu'ils trouvèrent, mais vidèrent à la mer, (...) ce qu'ayant vu, le capitaine perdit le courage de se défendre. L'Arrêt du conseil des prises confisqua le navire au profit de l'Amiral, ordre étant toutefois donné par ce dernier de remettre le navire à son propriétaire sous condition qu'il soit cette fois-ci payé 100 livres à chacun des deux matelots restés à bord et 100 livres aux 14 îliens (la chaloupe comptant pour une part) sous déduction des effets débarqués par eux, estimés à 632 livres.


Audierne était un abri sûr pour les corsaires

Protégé par une batterie à l'entrée du port, Audierne était un abri sûr pour qui connaissait les passes et plus d'un navire chassé y trouva refuge de même que corsaires et navires du Roi y firent conduire leurs prises ou reprises.

Audierne était un abri sûr pour qui connaissait les passes

Audierne était un abri sûr
pour qui connaissait les passes...

    

Ce fut le cas, entre autres, du Chasse Marée « Saint Alexis » de Saint Briac qui le 20 mai 1780, chargé de vin pour la ferme fut pris devant Audierne par un cutter corsaire Anglais armé de 16 canons mais qui fut obligé de l'abandonner après toutefois l'avoir pillé et y avoir ouvert deux voies d'eau.

Le corsaire Anglais, au premier coup de canon de la batterie d'Audierne, coupa son câble et prit la fuite, permettant au « Saint Alexis » de se réfugier dans le port.

De même, « la Revanche », de Douarnenez, 50 tonneaux, capitaine Pierre Lamour, prise le 1er décembre 1782 par « L'Echo » de Jersey de 6 canons, capitaine Elie Cabot, qui fut reprise le lendemain par les navires du Roi « La Tourterelle » et « La Riotte » fut amenée et mise à l'abri dans le port d'Audierne.

Plus intéressante fut la prise le 1er mai 1781 de « la Sally » de Bristol, de 220 tonneaux, par « la Joséphine » du Havre munie de 30 canons et servie par 270 marins, conduite à Audierne par J.A. Jude, le capitaine de prise. Reconnue « de bonne prise » le 30 du même mois. « La Sally » fut vendue à Audierne pour la somme de 18 515 livres sous déduction de 2118 livres de frais.


Après la course « du Lys », on ne sait ce qu'il advint de ce vaillant bateau qui avait victorieusement combattu beaucoup plus fort que lui; là aussi, les archives sont muettes. Très endommagé par le combat, on peut supposer qu'il fut probablement mis à la grève et servit utilement, comme beaucoup d'épaves à l'époque, de bois de chauffage... Quant à Pierre Cornic, après un embarquement comme pilote, il cessa apparemment de naviguer et s'associa quelque temps plus tard à son père Mathurin pour devenir à son tour armateur à Morlaix, mais c'est là une autre histoire.

Sources : Archives départementales, séries B (Fonds des Amirautés de Morlaix et de Quimper).


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